J’ai longtemps pensé que même dans les mauvais secteurs pour l’investisseur, les secteurs dont les caractéristiques intrinsèques ne favorisent pas les profits et la rentabilité, on pouvait trouver des entreprises qui se démarquaient et qui représentaient de bons placements. Je ne crois plus à cette théorie : ramer à contre-courant de caractéristiques économiques implacables est foncièrement un exercice stérile, inutile et à la longue, non rentable pour l'investisseur.
Prenons le secteur des journaux écrits. L’évolution technologique (internet) et les préférences des nouvelles générations condamnent, selon moi, ce secteur à un déclin progressif et irrémédiable. Lorsque j’ai commencé à m’intéresser à la bourse il y a quelques années, malgré le fait que la montée fulgurante de l’internet était déjà nettement perceptible, une thèse favorable aux investissements dans les journaux continuait à être défendue. Selon de sérieux analystes, comme celui qui couvrait à l'époque ce secteur sur le site d'investissement Morningstar, les grands journaux étaient entourés d’une tranchée (moat) qui les mettait à l’abri de la compétition : les coûts associés au démarrage d’un journal étaient si élevés que cela devenait une protection contre l’arrivée d'éventuels compétiteurs.
Selon cette thèse, les principaux journaux des grandes villes, tout comme les petits hebdos des petites villes, jouissaient donc d'un quasi monopole qui leur permettait un contrôle sur le prix de vente du journal et sur celui de la publicité qu’il incluait. Là où cette théorie se trompait royalement, c’est qu'en fait, ce qui menaçait vraiment les journaux, ce n’était pas la venue d’autres journaux, mais la montée des autres moyens de communication, en particulier, l’internet.
J’ai mordu à la thèse de la « tranchée protectrice » des grands journaux et j’ai investi dans Gannett (U.S.A. Today), New York Times, Tribune, Lee Enterprises, Journal Register... Au fil des dernières années, ce qui est ressorti clairement, c’est que le nombre de lecteurs des journaux diminuait régulièrement d’un trimestre à l’autre. Les plus vieux lecteurs s’accrochaient à leur habitude en papier, mais les plus jeunes n’adoptaient qu’en faible nombre ce moyen d’information auquel ils préféraient, et de loin, l’internet, eux qui ont été nourri par ce média dès leur plus jeune âge. Internet étant en fait pour les jeunes, plus qu’un moyen d’obtenir de l’information, c’est un lieu pour socialiser, échanger, s’exprimer, consommer et, à l’occasion, s’informer…
Le cycle de la vie n'est pas respecté ici : pour chaque vieux lecteur qui décède, on est loin de pouvoir compter sur un jeune lecteur de journaux pour prendre la relève. Et les annonceurs s’ajustent à ce déplacement inter-générationnel et diminuent progressivement la part de leurs budgets destinée aux journaux, en faveur d’autres médias, en particulier, les sites internet. Que peuvent faire les journaux face au pouvoir d'attraction de ce puissant média inter-actif, qui allie, en direct et en continu, textes, images, son et vidéos? Se convertir à l'internet? C'est la bouée de sauvetage à laquelle tous les journaux ont pensé. Le hic, c'est que sur internet, il n'y a pas de "tranchée protectrice", pratiquement pas de "barrière à l'entrée" : la compétition arrive de partout, même un blog comme le mien devient un modeste compétiteur de plus...
Comme l’économie ralenti actuellement aux États-Unis, cela vient accélérer la descente des journaux : les grands annonceurs se font rares et le nombre de petites annonces (emplois, immobilier, automobiles…) est en chute libre. Les derniers résultats trimestriels ont confirmé le rétrécissement des revenus et des profits. Les titres des grands journaux, même les meilleurs (ex. Gannett, GCI au NYSE), continuent ainsi à chuter de mois en mois. Une des pires dégringolades est celle de McClatchy Newspapers (MNI au NYSE) qui valait $75 l’action en avril 2005, le titre a fermé à $2.13 hier, une perte de près de 97% de sa valeur en un peu plus de trois ans!
Le seul attrait qui semble retenir des investisseurs à bord, est la générosité du dividende de certains journaux, dont les yields ont augmenté de façon inversement proportionnel à la chute du cours des actions : ainsi, Gannett à son prix d’aujourd’hui ($7.53), offre un plantureux dividende, un yield de 21%! Méfiez-vous cependant, ces dividendes obèses ne sont pas coulés dans le béton et seront éventuellement remis en question quand les entrées d’argent seront de plus en plus modestes. La preuve de cette imminente éventualité: les marchés continuent à lever le nez sur Gannett et son dividende, et ce, même si l'entreprise publie le journal qui a le plus fort tirage aux États-Unis (U.S.A. Today).
En 2007, Tribune (L.A. Times, Chicago Tribune...) a été rachetée à $33 l'action par le milliardaire Sam Zell qui a alors pris une des pires décisions d'investissement de l'histoire: l'entreprise vient de se placer sous la protection de la Loi contre les faillites (Chapitre 11), un peu plus d'un an plus tard...
Moi je garde mes quelques titres de journaux encore quelque trimestres, le temps qu’une reprise économique aux USA ramène des annonceurs, crée l’illusion d’un certain retour de la rentabilité et fasse remonter le cours de ces actions qui sont aujourd’hui au plancher. J’attends une sorte de « dead cat bounce » pour récupérer une partie de mes investissements et faire mes adieux aux journaux comme choix de placement.
P.S. J'aimerais bien me tromper sur la diminution progressive du tirage des journaux, ces derniers ont été, et demeurent encore aujourd'hui, de formidables entreprises qui jouent un rôle essentiel pour la liberté d'expression et la cohésion des communautés, petites et grandes.
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